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La TR5 en compétition

Par Frédéric Reydellet



A l'image de sa (trop !) brève diffusion commerciale, la Triumph TR5 n'a connu qu'une carrière sportive éphémère avant la fin des années 60, n'est-ce pas aujourd'hui un fait qui contribue encore à la rendre plus séduisante ?!

Lors du lancement de la nouvelle TR à l'automne 1967, le département compétition de Triumph n'est hélas plus que l'ersatz de ce qu'il a été depuis 1954. Créé sous la responsabilité de Ken Richardson à la naissance de la TR2, il a vu se succéder tous les modèles ou presque de la marque, attestant du caractère sportif bien "trempé" de la firme britannique, n'hésitant pas à inscrire en course, selon les règlements en vigueur, la plus humble Standard ou la plus "féminine" Hérald !
A la glorieuse époque des premières TR, succèdent les années TR4 et Spitfire, de 1962 à 1965. Lesquelles conduisent les pilotes de l'usine et les amateurs à de nombreux succès tant en rallye que sur piste, avec le retour de Triumph au Mans en 1964 et 1965, grâce aux agiles et performantes Spitfire.

Mais en 1966, l'avenir de Triumph est à ce point incertain qu'il passe plus que jamais par la case British Leyland, télescopant de plein fouet le programme sportif d'Abingdon, déjà fort des activités d'Austin Healey, de BMC et de MG. Autant dire que lorsque la TR5 arrive sur le marché, l'idée même de la course chez Triumph n'est plus vraiment d'actualité, et il faudra quelque temps pour que le nom de Triumph résonne à nouveau sur les podiums sportifs, au bon gré des performances des berlines 2.5 Pi, des Dolomites et des TR7. 
D'autant qu'à partir de 1966, la nouvelle annexe J du Code Sportif International ne fait plus du tout la part belle aux voitures dites GT et favorise par contre le développement de voitures de tourisme de plus en plus performantes. On assistera ainsi à la naissance de quelques mythes, la Mini Cooper, la Cortina Lotus, précédant dans un autre registre la berlinette Alpine ou la Porsche 911. 

La TR5 a-t-elle donc "zappé" intégralement toute velléité de compétition, noyée dans les difficultés politico-financières de ses géniteurs ? Que nenni, heureusement, à la force de volonté de quelques talentueux pilotes privés. En s'intéressant à deux d'entre eux, on résume quelques unes des plus belles pages de la brève histoire de la TR5 en compétition…

Barbara, Mordacq et Duvauchel au Marathon de la Route en 1968.

Le Français Roger Barbara s'intéresse dès son plus jeune âge aux Triumph… qu'il aborde par la moto ! "Je suis né à Aire sur la Lys dans les années 20, relate aujourd'hui Roger, du au hasard de la guerre de 14 qui abandonna là mon père d'origine espagnole à la démobilisation. Il y est resté et j'y ai passé toute ma vie, dans la maison familiale. Mon père construisait des vélos puis s'intéressa à la moto et à l'automobile, autant dire que le terrain était bien préparé pour moi ! J'ai débuté à moto en 1946 sur une Norton, mais le manque d'argent m'a amené au moto-cross. C'est là que j'ai connu mes premières Triumph, que j'idolâtrais littéralement depuis la guerre où je voyais les militaires anglais en posséder de superbes. J'ai couru de nombreuses années à moto, et lorsque je me suis décidé à débuter en compétition automobile, c'était naturel pour moi de me tourner vers les Triumph. On était en 1962, la TR3 arrivait en fin de carrière et la TR4 était déjà là. Une petite annonce, un coup de fil, et me voila lancé en rallye avec ma première TR4".


Entre temps, Roger ouvre son garage à Aire sur la Lys, il devient agent Triumph puis… un des plus gros concessionnaires français de la marque. "Lorsque la Spitfire est arrivée, en été, j'en vendais une par jour", clame-t-il encore !


Pendant ses premières années automobiles, Roger suit l'évolution de la gamme et adapte sa monture en fonction des nouveaux modèles. La TR4, la Spitfire et la berline 2000 accompagnent successivement ses frasques sportives les plus audacieuses et lui autorisent des résultats superbes dans le Nord de la France mais aussi dans les plus grandes épreuves internationales. Il est à l'époque un des rares pilotes français à défendre les honneurs de Triumph en rallye. En 1967, il acquiert enfin sa TR5.


"J'ai préparé ma TR5 pour le rallye du Portugal en 1968. C'était un rallye épuisant, très long, car un parcours de concentration nous menait de Paris au Portugal, avant de débuter véritablement la compétition. Les routes étaient en terre, en graviers, et il y avait beaucoup de navigation routière. J'ai couru deux fois le Portugal avec ma TR5, en 1968 et en 1969. Et deux fois, nous avons du abandonner, hors délai. Mes coéquipiers étaient littéralement broyés par la fatigue et je les soupçonne encore d'avoir un peu arrondi les secondes dans leurs calculs ! En 1969, je suis certain qu'on était encore dans le coup… C'est cette année-là qu'avec la TR5, suite à une erreur de navigation, on s'est retrouvé dans les roues de Tony Fall, sur une Lancia usine. On a pris sa roue, justement, et je n'ai pas lâché ! Il ne m'a pas largué, quant à mon copilote, il ne disait plus un mot ! Cette sorte d'état de grâce qui arrive de temps en temps quand on pilote… Fallait être fou ? Non… On était tout simplement totalement dans l'action !


J'ai encore fait quelques rallyes dans le nord de la France avec cette TR5, une très bonne voiture, puissante, avec les défauts qui avaient fait le charme de la TR4. Avec mes équipiers Amaury Duvauchel et Roger Mordacq, j'ai également disputé le fameux Marathon de la Route en 1968, qui se courait alors sur le terrible circuit allemand du Nürburgring, dans l'Eiffel. Ça durait 84 heures sur ce tourniquet infernal, la TR5 a tenu bon jusqu'à 18 tours de l'arrivée où un moyeu avant a cassé. On était 35e, déçus bien sur d'abandonner, mais ce fut une belle répétition pour l'année suivante où je suis revenu avec ma TR6." 

Et avec quel succès en 1969, 3e au scratch, 1er de la catégorie et 1er au classement régularité, tenant compte des temps d'arrêt au stand. Chapeau Roger !


Thuner et Gretener au Monte Carlo 1968.

En 1968, c'est également au tour du Suisse Jean-Jacques Thuner de découvrir le charme de la TR5 en course. Jean-Jacques sort alors de près de 4 années dans "l'active" au sein du département compétition de Triumph qu'il rejoint en 1962 pour piloter la TR4 en rallye. "J'avais débuté dans les années 50 avec une TR3 qui me permit de remporter le rallye de Genève. Ken Richardson m'a alors confié une TR3 d'usine pour le Rallye Monte-Carlo mais ce fut sans trop de lendemain car Triumph fermât son service course en 1961. Lorsqu'un an plus tard, l'activité sportive redémarrât, Triumph me fit signe pour piloter une TR4, c'est ainsi que je devins pilote d'usine en duo avec mon vieux compère John Gretener. Nous sommes restés dans l'équipe jusqu'en 1966, pilotant les TR4, les Spitfire et les merveilleuses berlines 2000 à moteur 6 cylindres. Depuis mes débuts, j'avais toujours le soutien de Pierre Blanc, l'importateur de la marque en Suisse, et lorsque j'ai du quitter Triumph par la force des choses, je me suis retourné vers lui. Nous avons acheté une des anciennes Spitfire du Mans avec laquelle j'ai beaucoup couru en courses de côte et en circuit, mais nous avons aussi développé un petit programme autour de la TR5."


Pour le Rallye Monte-Carlo, Jean-Jacques fait donc faire ses premiers pas à la TR5 en Championnat d'Europe des rallyes. Non sans quelques émotions… "Nous avions développé une très bonne voiture, ce moteur 6 cylindres était véritablement magique. Il avait été préparé et soigné en Angleterre, à l'usine, où nous avions encore nos entrées ! Il développait 185 CV, la voiture était très performante, mais en pleine nuit dans l'ascension du Col de Rousset, dans le Vercors, le bras en magnésium soutenant la suspension arrière a cassé net et tout est parti d'un bloc, roue arrière, arbre de roue, tambour de frein. Autant dire que dans l'obscurité au rythme qu'autorise la route du Rousset, ce fut un moment d'intense émotion !! J'ai encore utilisé la TR5 en course de côte puis lors du Rallye de Genève où nous avons frôlé la victoire. Je suis sûr que la TR5 valait bien une Porsche 911 de l'époque, en côte elle était imbattable. Il n'y a qu'en descente que son freinage dépassé par celui des 911 nous pénalisait. A l'arrivée il ne nous manquait je crois que 5 ou 10 secondes pour l'emporter. Avec John, la TR5 fut notre dernière expérience commune de la compétition, il était temps en effet de prendre un peu de recul. Mais que de souvenirs…"


En guise d'épilogue, rappelons qu'en 1969 enfin, une Triumph TR5 "suisse" remporte le classement de la catégorie "chevronnés", habilement pilotée par Werner Lier et naviguée par un certain… Maurice Gatsonidès, alias "Gatso", pilote officiel Triumph pour l'équipe de Ken Richardson entre 1954 et 1960, et fort entre autres de 23 participations au Monte-Carlo entre 1936 et 1970 !


Frédéric Reydellet 




Un grand merci à Frédéric pour nous avoir retracé le bref parcours de la TR5 en compétition. N'oubliez pas de lire ou de relire les 6 tomes de sa passionnante collection.

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